Prof mais pas trop !
15 ans plus tôt, j’écoutais un certain M. Guyomard me parler “d’invariant de boucle” pendant les cours d’initiation à la programmation. J’essayais de savoir à cette époque si j’étais plus fasciné par sa connaissance, qui me semblait sans faille, ou par ma propre incapacité à m’en construire une. Les deux, sans doute.
Quelques années, formations, compliments, occasions plus tard, gonflé à bloc et cherchant à poursuivre un fantasme de jeune étudiant (apprendre de nouvelles choses à mes pairs), je me suis lancé dans l’enseignement grâce à une école jeune et jolie : La Web School Factory.
Cela fait maintenant 3 ans que ça dure et tout ce que je pensais de l’enseignement était vrai, sauf, que tout était faux. Tout d’abord, je ne suis pas prof : je suis intervenant. Ensuite, le travail du prof (que je ne suis toujours pas mais c’est plus court à écrire qu’intervenant) est fatiguant, bien plus que mon autre travail de directeur technique. Trois heures de cours à la Web School et j’ai l’impression de faire face à une horde de clients en colère pendant une journée en continu. L’épuisement est total, physique et mental au point que chaque année je me dis : “cette fois, j’arrête”. Mais chaque fois, j’y retourne. Alors “il est où le bonheur”, comme disait l’autre, dans tout ça ?
Quand on a étudié dans le publique (où les intervenants partagent leur temps entre recherche et enseignement), il est difficile de considérer qu’une personne qui dispense 3 heures de cours par jours, pendant une semaine, soit un prof. Et pourtant. Eux, le considèrent. Quand je dis “eux”, j’entends les élèves. Ceux qui payent pour qu’on leur dise toutes ces belles choses et pour sortir un peu plus savant de chacune de ces séances. Ceux qui se demandent (comme moi quelques années plus tôt) si ma connaissance est sans faille : évidemment, elle ne l’est pas, et un bon nombre de ces mêmes élèves le remarque aussitôt.
Je me demande parfois comment M. Guyomard vivait cette situation. Si lui aussi se trouvait dans une position où il mettait en vis-à-vis la nécessité d’être crédible et écouté, à celle de la vérité vraie. L’autorité est-elle synonyme d’élèves respectueux et modérés et cela parfois même, au prix de la pertinence de l’enseignement ? Où est ce qu’un juste milieu existe-il vraiment ? Dans un contexte où, les technologies que nous essayons d’enseigner évoluent à une vitesse terrifiante, n’arrive-t-il pas au prof de sortir quelque chose qui était vrai hier mais plus aujourd’hui ? Et quand un élève le remarque, est-ce que l’aisance et l’assurance du prof font passer la pilule et volent au secours de sa crédibilité ? J’aimerai parfois revenir en arrière, maintenant que je suis grand, pour assister à un cours de mon prof et voir s’il arrivait, à ce Michael Jordan de l’algorithmie, de faire un “air ball”.
Mes élèves me contredisent, me lancent des vannes et me poussent dans mes tranchées les plus profondes sur mes propres sujets. J’en étais terrifié à la veille de mon premier cours. Ma plus grande crainte était d’ailleurs de voir un élève expliquer un sujet à la classe mieux que moi. Je pense maintenant que c’est une nécessité absolue pour que le sujet soit compris.
Je suis persuadé aujourd’hui que, monologuer en utilisant mes plus belles métaphores et autres outils de vulgarisations (dont on raffole nous autres, informaticiens), ne vaut pas une explication faite par un autre élève de la classe et encouragé par l’enseignant. Je suis persuadé que donner l’illusion de la connaissance sans faille doit être déprécié face à cet effort qui pousse l’étudiant à aller chercher au plus profond de ce qu’il a compris et qui permet au voisin de mieux comprendre. L’idée que l’apprentissage ne soit pas un partage d’opinions m’est insupportable. Tout comme le fait de croire que l’enseignement est la propagation du savoir par l’ancien du village.
Du coup, je donne la parole. Et je la donne souvent. J’encourage l’interruption au risque de ne pas aller au bout du cours prévu. Je suis convaincu que comprendre peu est mieux que survoler beaucoup et je suis surpris de voir que dans la plupart des cas, on va même plus loin que le périmètre que je m’étais fixé.
Je trouve que la Web School gagne son pari sur ce point. Faire intervenir des externes qui font de l’enseignement (un domaine dans lequel nous n’innovons probablement plus assez) : un défi. Cette expérience est riche en leçons. La première pour moi étant que je ne suis pas prof.
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