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Most Valuable Product

Une fois n’est pas coutume, j’ai envie de parler boulot. Dans mon rôle de directeur technique (ce qui signifie en réalité premier développeur arrivé dans la boite) au sein d’un studio tech parisien, j’essaie d’aider les porteurs de projets à réaliser leurs rêves les plus fous mais j’en vois surtout un sacré paquet vivre un cauchemar éveillé. Tous ces jeunes (oui parce que la plupart sont jeunes) qu’on appelle startuppers en Novlangue (merci Mathilde Ramadier de m’avoir ouvert l’esprit) arrivent la bouche en coeur et portent toujours une idée révolutionnaire qui va changer le monde à jamais.

Le mot qui emplit le plus souvent leurs discours et le notre (et le mot incontestablement le plus entendu en 5 ans de vie de co-fondateur) est MVP, comprenez “Minimum Viable Product”. On l’entend si souvent qu’il y a aujourd’hui un commerce pour développer des apps mobiles et un autre pour développer des MVP. Tous ces entrepreneurs qui rêvent de changement savent très bien qu’une grande condition de réussite est de courir le plus vite possible vers les terres promises, j’ai nommé l’Appstore et le Google Play Store. Tout le reste c’est du vent, du vent pour changer les choses certes mais du vent. J’aimerai bien savoir ce qu’en pense Klaus Meine tiens de ce vent là.

Munis de ce désir de changement express et armés de leurs économies, les jeunes débarquent dans nos locaux et veulent un MVP.

Pour une app mobile on dit que l’on développe un MVP quand :

  • Le temps de mise à disposition sur le marché de la première version de l’app en est réduit à son minimum.
  • Idem pour les coûts.
  • On est capable de collecter des retours utilisateurs pour devenir encore meilleur.
  • Et on arrive à prouver à soi même et au monde que son concept est bon et que l’argent de toute une vie ne va pas être jeté par les hublots d’un yacht imaginaire.

À la lecture de ces principes on comprend le “Minimum Viable Product”. Le secret est en réalité dans le dernier point. Le concept. Celui de se prouver que cela sert à quelque chose d’investir de l’argent, d’aller plus loin pour changer le monde. L’erreur en revanche est que l’on se focalise très facilement sur la réduction d’un cout ou d’un temps de mise à dispo. L’entrepreneur sait de combien d’argent il dispose et les prestataires savent très bien comment faire rentrer un projet dans un budget. C’est gagnant-gagnant. Ils ont le besoin mais pas beaucoup d’argent ou de temps et les bons développeurs savent travailler vite et pas cher. Du coup le raccourci qui consiste à nommer MVP une première version pas trop cher et rapidement mise à dispo est plutôt facile à prendre.

Un client ayant l’idée d’une app de rencontre repart parfois avec la conviction que le MVP de son produit est un clone de Tinder. Oui, le concept est déjà prouvé et l’on sait déjà tous comment développer un tel produit qui plus est assez rapidement. Personne ne tique ! En effet les 4 points du contrat MVP sont remplis avec un Tinder like pour une app de rencontre et y a pas une personne qui se dit dans ce bas monde qu’il y a quelque chose qui cloche dans ce raisonnement (en dehors du fait que Tinder existe je veux dire).

Il y a aussi ceux qui viennent avec l’idée de faire une app qui fait, attention jargon de spécialiste, le café. Finalement on leur enlève le bouton qui permet de moudre les grains et on leur dit que c’est pour rentrer dans leurs coûts et leur timing. Le MVP sera donc une app qui fait chauffer de l’eau. Bah quoi ? c’est la première marche pour faire du café vous vous rappelez ?

Le produit sort sur le marché et le jeune entrepreneur décide (après avoir forcé ses stagiaires à mettre 5 étoiles sur l’Appstore) d’arrêter son entreprise. Il se rend compte que personne ne veut d’une app qui fait chauffer l’eau et que personne ne veut investir dedans non plus. Bravo ! Embrassades et félicitations sont de rigueur ! Le MVP a montré que cela ne servait à rien d’aller plus loin. Mission accomplie ! Si vous êtes d’accord avec ces dernières affirmations sachez que pour ma part elles étaient ironiques.

La responsabilité de cet échec est la nôtre. Développeurs, spécialistes MVP et autre Design Thinkers (Novlangue encore). Nous avons fait l’erreur de réduire le MVP à ses deux premiers critères. Les critères du temps et du coût. Mais quid de la preuve du concept ? Celui de notre torréfacteur n’a jamais été de faire chauffer de l’eau ? Et les retours utilisateurs qu’il a eu sur l’app bouilloire (si les gens ont bien voulu se donner la peine de commenter un tel exploit) étaient ils pertinents sachant que la cible initiale était celles et ceux qui aiment le café ?

Ce coup de gueule est moralisateur et je le revendique. Ma conviction est que la valeur première d’un MVP est celle de prouver que cela vaut la peine de continuer, encore faut-il ne pas se tromper de concept lors de notre élagage à la tronçonneuse. Je me répète sans doute mais il est scientifiquement impossible de prouver que les gens aiment bien les pommes en leur faisant simplement goûter des pépins sous prétexte qu’une fois séchés ils donnent naissance à un pommier.

À toutes les étapes de la conception (qui porte bien son nom) et du développement un seul mot doit régner en maître : le concept. Je propose que l’on renomme le MVP en MVC d’ailleurs. Les devs vont être contents.